2010-12-15

Sociologie de la bourgeoisie - Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot




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Sociologie de la bourgeoisie
Par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
Année : 2009
Pages : 128
Collection : Repères
Éditeur : La Découverte
ISBN : 9782707146823 - En ligne : 9782707163653








présentation 

Les discours sur l’effort individuel récompensé par le marché, sur les créateurs d’entreprise nouveaux maîtres du monde, sur les investisseurs institutionnels ou sur la « démocratisation » des placements financiers escamotent l’existence de la bourgeoisie. Pourtant, aucun milieu social ne présente à ce degré unité, conscience de soi et mobilisation. Ce livre lève un coin du voile qui recouvre les mystères de la bourgeoisie et montre ce qui constitue en classe sociale ce groupe apparemment composite. La richesse de la bourgeoisie est multiforme, alliage d’argent ? de beaucoup d’argent ? de culture, de relations sociales et de prestige. Comment les bourgeois vivent-ils ? Comment sont-ils organisés ? La bourgeoisie est-elle menacée de disparition ? Dans quelles conditions ses positions dominantes se reproduisent-elles d’une génération à l’autre ? Quel est le rôle des lignées dans la transmission de ces positions ? La bourgeoisie est-elle la dernière classe sociale ? C’est notamment à ces questions sur cet univers méconnu et qui préférerait le rester que répond ce livre rigoureux et accessible.



Sommaire de cet ouvrage

-Classe en soi et classe pour soi
-Individualisme théorique et collectivisme pratique
-Le vote de classe de la bourgeoisie
-Amalgame des pouvoirs et synthèse des intérêts de l'oligarchie
-Les vases communicants de la finance
-La consanguinité des conseils d'administration
-La bourgeoisie fait la loi
-Qui sont les « sages » ?
-Peu de sanctions pénales pour les délinquants en col blanc
-Les affaires EADS, Wildenstein et Cahuzac
-L'impunité des puissants
-L'illégitimité légalisée, mais jusqu'à quand ?



extraits 

Introduction


Le discours libéral soigneusement distillé par les membres de la grande bourgeoisie autonomise les différents aspects du monde social afin de masquer la réalité crue des rapports entre les classes sociales.

En effet,que ce soit dans la vie politique,dans l’économie et la finance ou dans l’univers médiatique, les élites acquises au libéralisme sont à la commande. Mais cela doit être caché pour éviter la prise de conscience de l’antagonisme de classe. La dénégation de la lutte des classes a pour objectif d’instituer le capitalisme en système économique et social « naturel », allant de soi, et donc intouchable.Le monde est comme il est et ne peut être autrement dans sa soumission à la volonté des vainqueurs. 

Experts et statisticiens, au moins certains d’entre eux, donnent une image de l’économie qui doit faire autorité pour que les privilèges soient reconnus comme des gratifications bien méritées par les rentiers, les héritiers, les affairistes et les grands patrons dont les revenus défraient la chronique. 

Ce déni de la possibilité de la volonté humaine de pouvoir construire un monde plus équitable est omniprésent dans les milieux les plus favorisés. La bourgeoisie veille à maintenir cette illusion des qualités personnelles comme premier facteur des réussites sociales, alors qu’elles sont pour beaucoup le fruit de l’héritage, des biens et des qualités socialement construits des anciens de la lignée.S’il existe encore une classe, c’est bien la bourgeoisie, ces familles possédantes qui parviennent à se maintenir au sommet de la société où elles se trouvent parfois depuis plusieurs générations. 

La société française du début du XXIe siècle est une société profondément inégalitaire. Les sociologues ont leur part de responsabilité dans la méconnaissance derrière laquelle s’abritent les processus de la reproduction.Les travaux sur la haute société sont rares, laissant dans l’ombre privilèges et privilégiés, et ce pour des raisons plutôt mauvaises que bonnes : la rareté des financements susceptibles de permettre de tels travaux, mais aussi la difficulté inhérente au fait de mener des investigations auprès d’agents occupant des positions dominantes, qui disposent de pouvoirs étendus et remettent ainsi le chercheur à sa place, dominée. La raison la moins mauvaise serait encore d’accorder la priorité aux problèmes sociaux et donc aux catégories vivant le chômage et les difficultés de tous ordres. Peut-on pour autant faire l’impasse sur les dominants, sur ceux qui tirent le plus grand profit de l’état des choses ? 

Ceux dont la fortune se chiffre en millions, voire en milliards d’euros.La recherche trouve aussi un obstacle de taille dans la collecte des informations et des observations. La haute société cultive la discrétion et le secret, sur son mode de vie, mais surtout sur les richesses accumulées. L’opacité est systématique et sourcilleuse lorsqu’il s’agit d’argent, un sujet tabou. L’arbitraire des privilèges, et des pouvoirs qui vont avec, doit rester caché. 

C’est la condition de la reproduction de l’ordre social. C’est pourquoi les documents fiscaux doivent être aussi bien gardés que ceux relevant du secret Défense.En raison même de ces obstacles, travailler sur les privilégiés est nécessaire. On ne saurait comprendre la société sans en connaître les sommets. 
L’information est certes lacunaire, l’enquête se heurte à des difficultés, dont l’une des plus perverses est certainement la maîtrise de la présentation de soi : par l’art de la conversation et le maintien du corps, le grand bourgeois contrôle l’image qu’il donne de lui-même, technologie sociale qui constitue une partie importante de son éducation et qui assure ainsi la métamorphose de qualités sociales en qualités naturelles. 

Le social modèle des « corps de classe ». Cela permet d’associer à la domination économique la domination symbolique et le consentement plus ou moins implicite des dominés. Si nous avons persisté à poursuivre nos recherches sur ces familles qui cumulent les pouvoirs et les richesses, c’est pour rendre visible,manifeste tout ce que ces familles doivent justement masquer a fin de préserver leurs privilèges.Mais qui sont ces familles, comment ce groupe apparemment composite constitue-t-il une classe sociale homogène ? La noblesse fortunée y coexiste avec les familles bourgeoises. Des industriels, des hommes d’affaires, des banquiers, de vieille souche ou de récente extraction, y voisinent avec des exploitants agricoles, des hauts fonctionnaires, des membres de l’Institut, des généraux. Un groupe dont la position se définit par la possession des moyens de production, qui peut aller de pair avec l’exercice du pouvoir économique, en tant que PDG par exemple, mais qui peut très bien se contenter d’une attitude rentière, assortie ou non d’une activité professionnelle.

INTRODUCTION

Les bourgeois sont riches, mais d’une richesse multiforme, un alliage fait d’argent, de beaucoup d’argent, mais aussi de culture, de relations sociales et de prestige. Comme les difficultés sociales se cumulent, les privilèges s’accumulent.La bourgeoisie est-elle une classe menacée de disparition,comme la noblesse autrefois ? Celle-ci n’a-t-elle pas fusionné avec les nouvelles élites ? Dans quelles conditions les positions dominantes se reproduisent-elles d’une génération à l’autre ? De nouvelles fortunes apparaissent et défraient la chronique. Sont-elles appelées à rejoindre la cohorte des nantis ? L’analyse diachronique met en évidence les processus de renouvellement des classes dirigeantes, mais aussi leur permanence à travers leurs différentes composantes. 

La constitution de lignées apparaît ainsi comme centrale dans les processus de la transmission des pouvoirs. La fusion de la noblesse et de la bourgeoisie la plus ancienne s’inscrit dans cette logique.Cette fusion va de pair avec la cohabitation dans les mêmes quartiers. Le pouvoir social étant aussi un pouvoir sur l’espace, la haute société exprime son unité profonde par la recherche systématique de l’entre-soi dans l’habitat et dans les lieux de villégiature. Cette ségrégation, qui est surtout une agrégation des semblables, produit un effet de méconnaissance par la séparation d’avec le reste de la société.Que se passe-t-il à l’abri des regards indiscrets ? 

D’abord une intense sociabilité, dont les enjeux sont beaucoup plus importants que ne le laisse supposer une expression comme « vie mondaine ».À travers celle-ci s’accumule et se gère une forme de richesse essentielle, le capital social. Un capital qui, comme le capital économique, ignore les frontières : il est lui aussi cosmopolite. La grande richesse se construit et se vit à l’échelle planétaire. « La » mondialisation est aujourd’hui « sa » mondialisation.La densité des relations conduit à une sorte de collectivisme paradoxal. Les familles mettent en commun une partie de leurs patrimoines et de leurs ressources dans le cadre des échanges incessants qui rythment leur vie. La richesse des uns vient ainsi accroître celle des autres par la médiation d’une sociabilité qui partage les valeurs d’usage, sans que, bien entendu, la propriété patrimoniale soit pour autant écornée.L’avenir de cette classe apparaît ainsi prometteur. Elle est à peu près la seule au début du XXIe siècle à exister encore réellement entant que classe, c’est-à-dire en ayant conscience de ses limites et deses intérêts collectifs. Aucun autre groupe social ne présente, à ce degré, unité, conscience de soi et mobilisation.

I. Qu’est-ce que la richesse ?

Les enquêtes et les sondages d'opinion révèlent une conception spontanée de la richesse fondée uniquement sur l'argent : être riche se définit économiquement. Les images insistent sur cet aspect, qu'il s'agisse de l'oncle Picsou de Walt Disney, des dessins anticapitalistes en URSS ou des caricatures de Plantu dans Le Monde, le riche est représenté croulant sous le poids de sacs rebondis de pièces d'or, ornés du symbole du dollar. Dans les réponses aux sondages la richesse est caractérisée par la possibilité d'acheter des biens de valeur, un yacht, un grand appartement, des loisirs et des voyages au loin, ou du temps libre avec l'embauche de personnel domestique. 

La richesse est ainsi réduite à sa dimension matérielle, à  l'achat de biens ou de services.Ces représentations ordinaires ignorent des dimensions essentielles de la fortune qui, pourtant, lui donnent son sens social et définissent l'appartenance à la bourgeoisie. Il s'agit du capital culturel et du capital social, de ces formes moins visibles que l'argent, mais qui contribuent à déterminer la position dans la société. 

Le capital culturel peut se matérialiser dans certains aspects du patrimoine : les vieilles demeures de la bourgeoisie sont des écrins qui abritent des objets et des œuvres d'art dont la valeur considérable est aussi culturelle.Quant au capital social, beaucoup moins aisément perceptible encore, il se donne pourtant à voir dans quelques occasions particulières où la haute société se célèbre dans des manifestations soigneusement mises en scène : les enterrements solennels, les grands prix hippiques, le bal des débutantes ou les soirées caritatives, avec dîners en robe longue et smoking…


II. Noblesse et bourgeoisie : les enjeux du temps

La noblesse française est une noblesse éteinte, aucun titre ou anoblissement ne pouvant plus être décerné depuis la chute du Second Empire. Toutefois une partie de la noblesse, malgré les pertes humaines subies au moment de la Révolution de 1789 et la confiscation de ses biens, a su se reconvertir et franchir les aléas du passage d'une société pour l'essentiel agricole à une société industrielle et bancaire. Des périodes comme celles du Premier et surtout du Second Empire ou de la Restauration ont été des moments décisifs pour cette reconversion.Il subsiste en France, selon les annuaires spécialisés, entre 3 500 et 4 000  familles nobles. 
Ces chiffres marquent un recul sensible : on en comptait environ 17 000 à la veille de 1789, pour une population globale bien moindre qu'aujourd'hui.Si l'on ajoute aux familles de la noblesse authentique celles qui portent un patronyme d'apparence noble, on atteint un total d'environ 10 000 familles. 

Les noms à particule sont courants mais ne signifient rien quant à l'appartenance véritable à l'aristocratie. Charles de Gaulle, le maréchal de Lattre de Tassigny, Valéry Giscard d'Estaing sont d'authentiques bourgeois. À l'inverse, les Decazes sont ducs, marquis et comtes, bien que leur patronyme ne comporte pas de particule. Il en est de même pour de nombreux barons dont les titres furent créés sous le Premier ou le Second Empire.En France, l'usage d'un titre usurpé n'est répréhensible que dans le cadre d'une procédure ou d'une démarche administrative…

III. Les espaces de la bourgeoisie

La ville, souvent abordée par les sciences sociales comme problème de société, est pourtant, aussi, un lieu où les familles les plus aisées s'épanouissent. Regroupées dans quelques quartiers bien délimités, elles y cultivent un entre-soi qui n'est possible que parce que le pouvoir social est aussi un pouvoir sur l'espace. Les familles de la grande bourgeoisie contrôlent les  lieux où elles vivent, qu'il s'agisse des grandes villes ou des lieux de villégiature où elles passent leurs vacances. Cet entre-soi géographique assure d'abord et avant tout l'un des plaisirs les plus universels, celui d'être en compagnie de ses semblables, de partager avec eux le quotidien, à l'abri des remises en cause et des promiscuités gênantes. Il est alors possible d'obéir sans retenue et sans mauvaise conscience aux injonctions et aux exigences des dispositions propres au groupe auquel on appartient.
Mais l'entre-soi résidentiel constitue aussi un élément des stratégies mises en œuvre pour assurer la reproduction des positions dominantes, avec l'éducation des enfants et le contrôle sur leurs relations. Cet entre-soi permet en outre le partage des richesses accumulées : les grandes fortunes, parce qu'elles sont voisines, forment un cadre de vie exceptionnel par la collectivisation des richesses singulières. La cumulativité des richesses est favorisée par le rapprochement spatial des fortunes familiales. La proximité physique facilite la sociabilité, travail social essentiel à travers lequel le groupe cultive et accroît l'une de ses richesses les plus vitales, le capital social…

V. Fabrication et entretien du grand bourgeois

La combinaison des différentes formes de capitaux qui définissent la richesse doit être transmise de génération en génération pour assurer le maintien des familles bourgeoises à leur niveau social. Cela suppose la maîtrise des conditions de la socialisation des jeunes enfants et des adolescents, et un contrôle efficace de l'éducation des futurs héritiers. 
Il faut que ceux-ci soient aptes à recevoir, à gérer et à transmettre les richesses multiples qui leur échoient. Fabriqué par des techniques éducatives spécifiques, le grand bourgeois doit aussi être entretenu en parfait état de conservation par des activités qui n'ont d'autre fin que de permettre aux intéressés de rester au sommet de la pyramide sociale.
Dans la noblesse et la grande bourgeoisie, la famille est au cœur du dispositif de la reproduction sociale. L'importance du nom comme emblème de l'excellence, qui ne saurait appartenir en propre à aucun des membres du groupe familial, est révélatrice de cette insertion de l'individu dans un ensemble qui le transcende, et qui lui donne d'ailleurs sa force. 
Le riche héritier est alors redevable de ses choix et de ses actes devant la famille, qui ne se limite pas à ses seuls parents en vie, mais qui englobe les ancêtres d'autrefois et les descendants du futur. Passer le relais est l'intense obligation. Toute l'éducation doit alors constituer l'héritier comme l'usufruitier de biens matériels, le portefeuille de valeurs mobilières, ou immatériels, le carnet d'adresses, qui ne lui appartiennent pas personnellement, mais qui sont la propriété de la lignée dont il n'est qu'un maillon…


VI. Une classe mobilisée

La bourgeoisie se construit continûment. Les bourgeois travaillent sans cesse à conforter la classe bourgeoise. Les collectifs, tels que la « bourgeoisie », la « classe dominante » ou l'« oligarchie », ne sont pas utilisés ici seulement par facilité d'écriture. Par un travail toujours recommencé, la classe entretient les limites qui marquent ses frontières, instruit ses jeunes générations, se préserve des promiscuités gênantes ou menaçantes. 
Fondée sur la richesse matérielle, la bourgeoisie atteint le statut de classe pleine et entière, selon les critères marxistes, par cet effort constant pour se réaliser en tant que groupe social. La bourgeoisie existe ainsi en soi, par sa place dans les rapports de production, mais aussi pour soi, par la mobilisation qu'elle manifeste dans son existence quotidienne en vue de préserver et de transmettre cette position dominante.

C'est dans les affaires, dans le monde de l'économie que se fonde le rapport entre les classes qui définit le capitalisme. Karl Marx a montré que la bourgeoisie est le produit de ce rapport d'appropriation privée des moyens de production qui lui permet de prélever une part de la plus-value produite par l'autre classe, constituée à travers le même rapport, le prolétariat. 
Bien que ces rapports d'exploitation aient beaucoup évolué depuis le XIXe   siècle, les héritiers Wendel, actionnaires du holding Wendel Investissement, sont tout autant capitalistes que François de Wendel, sidérurgiste lorrain, grand capitaine d'industrie, comme on disait volontiers à l'époque…






















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2010-12-06

une démence ordinaire Nicolas Grimaldi




Le philosophe Nicolas Grimaldi dissèque les mécanismes du fanatisme, «Une démence ordinaire»


«Egarés, nous le sommes tous.» Sur les chemins tortueux de l’existence se trouvent trop d’embûches, de mines, de culs-de-sac. Mais s’ils peuvent être accidentels, désarroi, égarement et délaissement semblent surtout tenir à la condition humaine. Aux hommes qu’on prive d’humanité, dans des camps d’extermination, la vie apparaît ne poursuivre qu’une seule et unique fin. «Ici et maintenant, notre but, c’est d’arriver au printemps. Pour le moment, nous n’avons pas d’autre souci», écrivait Primo Levi. Mais aux hommes libres se présente une gamme illimitée de choix, lesquels se dessinent et s’effectuent après une difficile navigation entre possible et impossible, perte et gain, dépendance et indépendance, opportunité, éventualité, nécessité, calcul, gratuité, intérêt, négociation avec soi-même et avec autrui. Si bien que, destinés à une infinité de vies possibles, tous se décident pour l’une avec le sentiment de s’être privé des autres.

On ne sait jamais ce qu’on devrait avoir accompli dans la vie pour ne point être saisi par l’impression de l’avoir perdue, car ce qu’on a acquis, modes d’être, qualités, fonctions, rangs et statuts, n’a été acquis qu’en se privant de tout ce qu’on aurait pu développer. Aussi les hommes, qui peuvent s’attendre à tout, sont-ils toujours en attente de ce qui viendrait combler le hiatus entre réalité et possibilités, mais savent cette attente vaine. C’est ce qui fait le malheur de l’existence, ou son «ordinaire échec». Comment le surmonter ? En effaçant toutes les bornes de la réalité, en l’«irréalisant». Les hommes sont malheureux, disait Spinoza, parce qu’ils «n’éprouvent jamais d’apaisement durable», et, de ce fait, accueillent «avec faveur les fictions nouvelles qui ne les ont pas encore trompés». Nicolas Grimaldi le reconnaît de même : il n’y a pas «si extravagante chimère que les hommes ne soient prêts à croire pourvu qu’elle leur fasse espérer la fin de leurs tourments».

Phare. Avant d’occuper en Sorbonne la chaire d’histoire de la philosophie moderne, puis en 1987 celle de métaphysique, Nicolas Grimaldi, aujourd’hui professeur émérite (né en 1933), a enseigné au lycée de Colmar, à l’hypokhâgne de Janson-de-Sailly et de Molière, à la khâgne de Jules-Ferry, aux universités de Brest, Poitiers et Bordeaux. Il a formé des générations d’étudiants, fascinés par la beauté de sa langue, la finesse de la pensée, un brio et une virtuosité qui l’a souvent fait comparer à Vladimir Jankélévitch, dont il est un admirateur. Son nom eût été sans doute plus connu si, socialiste déçu, juge sévère de Mai 68, il n’avait délibérément choisi, hors des amphithéâtres, la discrétion, le «regard éloigné» et une «retraite» de gardien de phare, si peu métaphorique qu’elle le fait vivre seul, entre Saint-Jean-de-Luz et Hendaye, dans l’ancien sémaphore de Socoa.

Spécialiste de Descartes, situant sa réflexion à l’interface de la métaphysique, de l’éthique, de la littérature (Leopardi, Proust, Pessoa, Amiel, Kafka, Simenon…) et de l’art, Grimaldi est cependant l’auteur de près d’une trentaine d’ouvrages, dont certains ont trouvé leur public, qui étendent à des thèmes toujours proches de l’expérience de chacun - la liberté, l’amour, le désenchantement, la jalousie, la solitude, les préjugés, le paradoxe, la traîtrise, la banalité - les intuitions de son premier livre, le Désir et le Temps (1971), dans lequel était exhibé le caractère fondamentalement métaphysique des faits de conscience. Il publie aujourd’hui Une démence ordinaire, dans lequel il montre comment certains leurres de la conscience conduisent, via «les vertiges de l’imaginaire», au fanatisme.

Si le temps est la réalité de la conscience, alors l’attente, en tant que «présence qui se transcende elle-même vers l’avenir», en est l’étoffe : avant même qu’on puisse prendre conscience de quoi que ce soit, il n’y a dans la conscience, si on peut dire, que «la pure attente de l’intuition à venir». Ainsi posée, l’attente joue de bien mauvais tours, dont le plus subtil est celui de «vivre dans l’illusion que ce qui est important n’est pas encore commencé». La conscience elle-même se trouve piégée : puisqu’elle est attente avant d’être, elle se condamne à attendre ce qui n’est pas et à se morfondre dans ce qui est, à déconsidérer et mépriser le présent, comme le disait Pascal. On l’éprouve tout au long de la vie : on peut certes se réaliser tant bien que mal avec ce qu’on est et ce qu’on fait, mais on se réalisera pleinement quand viendra la prochaine chance, la prochaine opportunité, la fonction, la rencontre, la proposition, l’œuvre, l’occasion prochaines.

Fantasmes. D’où la tentation d’abandonner «la réalité de ce qu’on sent, pour la réalité qu’on joue», pour un théâtre dans lequel serait aboli tout écart entre réel et irréel, et où l’illusion du bonheur serait gommée par le bonheur de l’illusion. Grimaldi appelle ce tour de passe-passe, la croyance. Non pas la croyance en tant que connaissance incertaine, n’attendant que la vérification et le savoir certain pour disparaître, mais la croyance en tant que passion, qui nous fait adhérer à des fantasmes en leur donnant une consistance de réalité. «Quoi qu’un homme ait poursuivi et quoi qu’il ait attendu, rien ne le contente», puisqu’infinis sont les possibles ouverts à son attente. Alors de deux choses l’une : on n’attend plus rien de la vie, ce qui est une façon de la faire mourir, ou on «attend tout», ce qui exige la médiation de l’imaginaire. «Que concevons-nous ou qu’imaginons-nous qui ne laisse plus rien à attendre ? Ce ne peut être que l’infini (auquel on ne peut rien ajouter), l’éternité (par rapport à laquelle rien n’est à venir), la perfection (aussi soustraite au possible qu’au temps, puisqu’on n’y peut ajouter ni retrancher), la plénitude, ou la béatitude (identifiée par les livres saints à une éternelle jouissance de l’infini).»

Comment ne pas croire, quitte à «déléguer» sa propre vie, à une instance suprême qui promet toutes les formes de l’absolu et efface le malheur de la précarité et l’insatisfaction de l’existence ? Comment ne pas se laisser envoûter par la croyance qu’existent des sectes, des partis politiques, des idéologies, des «affections» sportives, des religions, etc., qui «apportent tout», le bonheur, la joie, le bien, la justice, la liberté, le sens de la vie, le progrès, les lendemains qui chantent, la vie éternelle ? Telle est la «démence ordinaire», qui a fait adhérer «tant d’hommes épris de vérité aux plus extravagants mensonges et tant d’homme épris de justice à des régimes de terreur», tel est le levain du fanatisme qui, plaçant tout le bien d’un côté et tout le mal de l’autre, justifie qu’on massacre ceux qu’on estime être du mauvais côté.

source texte Par ROBERT MAGGIORI


Nicolas Grimaldi
Une démence ordinaire
PUF, 270 pp., 19 €.

2010-10-22

Le Grand Accélérateur de Paul Virilio


Dans cet impromptu, Paul Virilio réécrit « Le Livre de l’exode », un exode non plus en ligne vers une éventuelle Terre promise, mais un exode en circuit fermé, dans un monde trop étroit où le déstockage de l’humanité surgirait telle l’unique solution au renfermement de l’histoire.
À l’heure où le Grand collisionneur du CERN de Genève poursuit sa ronde à la recherche de « la particule de Dieu », et à l’instant précis où les États-Unis renoncent à retourner bivouaquer sur la Lune, pour financer le grand cirque des satellites, l’ère de l’anthropostatique sédentarité du peuplement humain va cesser devant l’exigence d’une mobilité forcée où les délocalisations et le désœuvrement provoqueront le Grand Soir du Progrès.

extrait source

interview Paul Virilio

Interview de Paul Virilio par Stephane Paoli
envoyé par . -


format : 12,5 x 21,5 cm
Nombre de pages : 104
Prix : 17 €
Date de parution : 2010
ISBN : 9782718608266

CANDIDE de VOLTAIRE



Candide est sous-titré l’Optimisme. Voilà un détail révélateur des préoccupations de Voltaire : le philosophe a voulu se moquer d’un optimisme irraisonné. En la personne de Pangloss qui répète mécaniquement et hors de propos : “Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles”,il a voulu ridiculiser ceux qui ne considèrent pas avec sérieux et respect le problème du mal.

Voltaire attaque les enseignements de ses contemporains, Leibniz ou plutôt son disciple Wolff moins subtil que son maître, et, au travers d’un conte assez caustique, leur apporte la contradiction.Ainsi la question du mal est-elle au cœur de cet ouvrage, mais en même temps, Voltaire essaiera de donner une réponse personnelle qui puisse concilier la bonté divine avec l’existence du malheur.

On doit remarquer que, déjà le conte oriental de Zadig, paru en 1747, douze ans auparavant, tentait de répondre à ce paradoxe métaphysique. C’est dire combien cette question épineuse tenait au cœur du déiste convaincu et du philosophe rationaliste épris de clarté.


EXTRAIT

le vieillard turc : « le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin ». Il faut aménager, civiliser le monde, il faut, chacun de notre côté, s’attaquer modestement à la tâche.Voltaire propose une religion du travail seul capable d’apporter un bonheur limité et de réformer l’individu. « Il faut cultiver notre jardin »

SOURCE

2010-09-22

ESSAIS DE MICHEL MONTAIGNE



EXTRAIT : LIVRE III,CHAPITRE 9

"La corruption du siècle est faite de la contribution personnelle de chacun de nous :
les uns y apportent la trahison, les autres l'injustice,l'ireligion,la tyrannie,l'avidité, la cruauté selon leur puissance: les plus faibles y apportent la sottise, la vanité, l'oisiveté, et j'en fais partie."

Michel Montaigne 1533/1592

Fondateur de l’introspection, il en vient peu à peu à l’unique projet de faire son propre portrait : « Je n’ai d’autre objet que de me peindre moi-même » Mais il dépeint principalement ses pensées, il veut voir plus clair en lui-même, dans ce qu’il appelle son « arrière-boutique » : « Ce ne sont pas mes actes que je décris, c’est moi, c’est mon essence. » Un pareil dessein est alors très neuf et personne, même dans l’antiquité, ne l’a expressément formé.

La vie de Montaigne est mouvementée. Il s'est engagé, a mené une action publique, a risqué sa vie. Sa personnalité a suscité des images contradictoires : « Sceptique retiré dans sa tour d’ivoire, égoïste ou généreux, lâche ou courageux, ambitieux ou sage souriant, stoïcien ou épicurien, chrétien sincère ou libre-penseur masqué, catholique convaincu ou sympathisant de la Réforme, esprit serein ou mélancolique redoutant la folie ? Les portraits qu’on a donnés de Michel de Montaigne sont aussi divers que les interprétations des Essais. »

extrait de wikipedia

2010-08-09

LE PARADOXE DU SAPIENS Jean Paul Baquiast


Collection DécohérenceS : Sortie : mars 2010
Préface de Jean-Jacques Kupiec
ISBN : 978-2-916913-25-4



Le Paradoxe du Sapiens propose une réponse surprenante à une question qui nous concerne tous : pourquoi les humains, capables de réalisations extraordinaires dans tous les domaines, se montrent-ils incapables de prévenir les catastrophes - catastrophes qui sont pourtant prévues et annoncées ? La faute en est-elle au développement devenu incontrôlable des technologies ? Est-ce au contraire que l’homme est resté en profondeur ce qu’étaient sans doute ses lointains ancêtres : des chasseurs-cueilleurs prédateurs et belliqueux ?

Le Paradoxe du Sapiens répond autrement à cette question. Le livre raconte, avec des arguments scientifiques à la portée de tous, une histoire extraordinaire : comment des générations d’êtres nouveaux, des primates étroitement associés à des outils, ont depuis quelque deux millions d’années pris possession de la Terre en la transformant radicalement. L'histoire s'accélère aujourd'hui avec l'évolution rapide des technologies - notamment celles de l'artificialisation des outils et du vivant - et la place grandissante qu'elles occupent.

Ce phénomène est généralement mal compris. On perçoit bien l’évolution technologique mais très mal celle des humains qui sont 'en symbiose' avec les techniques ; techniques qui nous transforment profondément, tout autant, si ce n'est plus, que nous les transformons. De plus, avec l’illusion que l’intelligence humaine est potentiellement toute puissante, on ne voit pas que la coévolution du vivant et de la technique relève de la logique darwinienne stricte, résumée par le principe du hasard et de la sélection.

L’auteur ne prétend pas prédire l’avenir. Un effondrement des civilisations telles que nous les connaissons peut très bien survenir à échéance de quelques décennies, mais, à l’inverse, avec le développement des réseaux de la communication intelligente, ce qu’il nomme une hyper-science pourrait peut-être apparaître. Elle renforcerait, au profit d’humains de plus en plus « augmentés », les capacités d’action collective rationnelles encore trop dispersées. Ce sera peut-être là un des nouveaux paradoxes de l’Homo sapiens de demain, associé aux outils du futur, s’il survit aux crises actuelles.

Le biologiste Jean-Jacques Kupiec, qui a préfacé cet ouvrage, s’est fait connaître du monde scientifique par une théorie profondément originale réintroduisant le darwinisme à tous les niveaux de l’évolution organique.

2010-08-05

Comment se forment les humeurs collectives

Article
Comment se forment les humeurs collectives
Jean-Paul Baquiast 07/06/2010
Si nous considérons qu’un groupe humain, quelle que soit sa nature ou sa taille, constitue un superorganisme, il convient de se poser la question de l’endroit où s’élaborent les décisions qui elles-mêmes commandent ses comportements. Les scientifiques ont depuis longtemps constaté que les groupes d ‘êtres vivants non humains, insectes sociaux (par exemple essaim d’abeilles), poissons (bancs de harengs), regroupement de mammifères (troupeaux de buffles) adoptent pour s’adapter à des changements du milieu ou pour faire face à des agressions des comportements collectifs semblant manifester une grande intelligence. Mais il s’agit de comportements qui, autant que l’on puisse juger, ne résultent pas de calculs « rationnels » réalisés au niveau du système nerveux central ou du cerveau de quelques individus jouant le rôle de leader, calculs dont les résultats sous forme d’ordres seraient communiqués aux autres par l’intermédiaire de signaux codés jouant le rôle d’un langage de commandement.

Le groupe face à une situation nouvelle réagit comme s’il s’agissait d’un organisme à lui seul, avec souvent une rapidité de décision qui laisse supposer qu’il est contrôlé par un cerveau commun. D’où la raison pour laquelle on nomme ces groupes des superorganismes. La difficulté tient cependant au fait qu’il n’y a pas de cerveau commun et que le concept de « cerveau distribué » supposé résulter du travail en commun de tous les cerveaux individuels correspond plus à une image qu’à des faits rigoureusement observés. Les neurosciences commencent à comprendre comment les différentes aires cérébrales composant un cerveau individuel entrent en compétition ou coopération pour construire une décision ou une opinion, mais cet exemple n’a pu encore être véritablement transposé à des groupes. Il est difficile d’assimiler les individus qui les composent à des neurones ou groupes de neurones.

Les éthologues échappent à cette difficulté en faisant appel au concept d’émergence. Si un banc de harengs change brutalement de route en présence d’un prédateur, on suppose que des automatismes simples, codées dans les gènes au cours de l’évolution, imposent à chaque poisson de calquer sa vitesse, sa direction et sa distance sur celle d’un ou deux de ses voisins. Il suffirait alors qu’un seul poisson aperçoive un requin et change de route pour que l’ensemble du banc change aussi de route, des milliers de poissons imitant le leader. On verrait donc émerger un comportement collectif intelligent reproduisant à grande échelle le comportement individuel intelligent du poisson pilote. Mais cette explication semble difficilement compatible avec la soudaineté extrême des mouvements du groupe, excluant l’hypothèse d’une propagation nécessairement lente de manœuvres d’évitement d’individus en individus. On serait tenté de supposer au contraire que les poissons partagent en permanence une sorte de conscience de soi commune les conduisant à produire une « pensée » commune laquelle commanderait des comportements communs. Mais où résiderait cette conscience ou plus exactement quels seraient les mécanismes permettant son émergence? Et comment fonctionnerait-elle?

On retrouve des phénomènes analogues, faisant soupçonner l’existence d’une conscience de soi commune, à tous les niveaux de la complexité animale,. Leurs bases physiologiques demeurent encore en grande partie mystérieuse. Les zoologistes ou simples touristes ayant eu l’occasion d’approcher un troupeau de buffles ont plusieurs fois constaté de leur part ce que l’on qualifie d’une imprévisibilité dangereuse. Ils peuvent laisser s’approcher le perturbateur sans réagir, en le regardant avec une sorte d’indifférence (ce qui n’est pas le cas des éléphants sauvages). Mais soudain, d’un seul coup et en masse, le troupeau peut charger l’intrus ou au contraire prendre la fuite. Il est très probable que les signaux d’alerte suscités chez ces animaux par la présence de l’humain n’étaient pas perceptibles par ce dernier. On peut penser aussi que le mâle dominant ayant pris une décision, l’ensemble de la harde l’imite aussitôt. Le fait cependant que tous ensemble décident à un moment donné de passer à l’action de façon coordonnée reste difficilement explicable 1).

La question de l’existence d’une conscience de groupe inconsciente, suggérée par les constatations ou hypothèses qui précèdent, se pose immédiatement à propos des comportements collectifs des sociétés humaines. Pourquoi tel groupe prend-il à tel moment telle décision inattendue, par exemple élire tel chef politique nouveau venu plutôt que tel autre dont la réélection semblait assurée - ou pourquoi, dans un autre domaine, tout à fait d’actualité, le groupe acceptera-t-il des mesures de rigueur et de restriction de consommation jusque là refusées? Si ces décisions collectives se produisaient au terme de longs débats publics et privés, on admettrait facilement qu’il s’agirait là seulement des conséquences de phénomènes plus ou moins bien étudiés relatifs à la formation de l’opinion publique: influences des discours politiques, des travaux d’experts, des accompagnements médiatiques, lesquels finissent à la longue par faire basculer la décision d’une majorité des individus composant la société considérée.

Mais ce n’est généralement pas ce qui semble se passer…On voit souvent au contraire le groupe, qu’il s’agisse d’une nation toute entière ou d’une simple entreprise ou association, prendre brutalement des décisions inattendues qu’aucun observateur, interne ou extérieur au groupe, n’avait prévues a priori. Il est certes toujours facile de trouver des explications a posteriori à ces décisions surprenantes. Le point troublant reste qu’au moment où le groupe se préparait, dans ses profondeurs, à prendre la décision surprenante considérée, aucun des individus constituant ce groupe ne s’était impliqué dans la préparation de la décision. Bien plus, aucun même n’avait pris conscience du fait que la décision était en train d’être prise, dans les profondeurs mystérieuses du superorganisme collectif auquel il appartenait.

Ceci devrait n’avoir pour nous rien de surprenant? Un superorganisme humain, surtout s’il entre dans la catégorie des systèmes anthropotechniques que nous avons récemment décrits 2), ne dispose pas d’une véritable conscience de lui-même, qu’il s’agisse de la conscience de soi primaire ou d’une conscience supérieure aboutissant à des décisions qualifiées de volontaires. Ses ressorts et déterminismes profonds, qu’ils relèvent de la biologie et de l’anthropologie comme de la technologie, sont généralement incompris ou mal analysés par les membres du groupe. Même si un certain nombre de ceux-ci émettent des diagnostics et opinions sur le monde et sur la façon dont il faudrait s’y comporter, rien ne prouve que ces expressions puissent modifier en profondeur la façon dont le groupe réagira finalement.

Les observateurs faisant métier d’analyser les opinion, les décideurs qui s’appuient sur leurs analyses, risquent donc souvent d’être pris à contre-pied par les réactions collectives du groupe. Il s’agit là en particulier du « cauchemar » du législateur. Des lois et règlements censés pris en faveur du bien collectif, comme par exemple tout ce qui vise en principe à augmenter la sécurité automobile, ne sont pas appliqués en fait, pour des raisons considérées aujourd’hui comme difficilement explicables (sinon la fraude poussée par la cupidité). Nous avons dans notre essai précité qualifié de « paradoxe du sapiens » cette incapacité apparente des sociétés humaines à appliquer les mesures préventives pourtant clairement énoncées susceptibles de prévenir les catastrophes diverses pouvant naître de l’emballement des technologies sous la pression de l’esprit de profit.

Le « social mood » de John Casti
Certains chercheurs se demandent aujourd’hui si l’on peut comprendre un peu plus scientifiquement comment les groupes humains se déterminent de façon collective. C’est le cas de John Casti (image ci-contre). Dans un article publié par le NewScientist le 22 mai 2010 p. 30, il reprend les arguments développés dans son livre Mood Matters: From rising skirt lengths to the collapse of world powers Copernicus. 3) .John Casti poursuit des recherches au sein de l'’International Institute for Applied Systems Analysis à Laxenburg, en Autriche. Il y développe des indicateurs d’alerte signalant la survenue possible de phénomènes extrêmes au sein des sociétés humaines. On pourrait penser qu’il s’agit là d’une nouvelle version des travaux menés à l’instigation des publicitaires et des cabinets en conseil politique pour tenter de deviner l’opinion. Il nous semble cependant que son approche est un peu plus originale.
Il met l’accès sur ce qu’il appelle le « social mood » d’une population, que l’on pourrait traduire par « sentiment collectif » ou même « humeur collective ». Pourquoi en deux ans, dit-il, la croyance en la force irrésistible de la mondialisation a-t-elle été remplacée par un désir de « relocalisation »? Or selon lui, la façon dont des populations données accueillent les produits ou idées nouvelles dépend en profondeur de la façon dont ces populations se représentent le futur. Ceci étant, ces représentations ne découlent pas de calculs rationnels, mais de sentiments (feelings). Sur la base de quels sentiments les groupes, quels qu’ils soient, se représentent-ils le futur? Globalement, sont-ils optimistes ou pessimistes? Bien évidemment, il faut adapter l’analyse à la longueur du laps de temps considéré. On peut être optimiste quand à l’avenir d’une nouvelle technologie tout en étant pessimiste sur la façon dont à long terme la technologie en général transformera le monde.

Mais comment mesure-t-on l’humeur collective d’une population? Les sondages d’opinions n’ont qu’un intérêt limité car ils ne prennent pas en compte les comportements effectifs. Ils ne tiennent pas compte non plus des effets dits de « group thinking » ou « herding », autrement du fait que des phénomènes de « pensée unique » ou de mode intellectuelle s’imposent généralement aux individus. John Casti pense qu’il faut plutôt faire confiance à des indicateurs « objectifs » tels que les mouvements d’achat-vente sur les marchés d’action. Il s’agirait des « indicateurs d’humeur » (mood meters) les plus efficaces car ils reflètent les paris que les gens (en fait les épargnants) font sur l’avenir. Ils peuvent être collectés et comparés sur des longueurs de temps suffisantes. Les analystes des mouvements de l’économie et de la finance, tels Ralph Nelson Elliott et plus récemment Robert Prechter, ont montré l’importance à cet égard des effets de vagues, se traduisant pas des passages de l’optimisme au pessimisme, et réciproquement, sans justifications sérieuses, dont les conséquences s’imposent à l’évolution politique et sociale globale.

Pour John Casti, le jugement porté sur les évènements mondiaux ou sur les politiques à mettre en oeuvre dépend radicalement de l’humeur sociale dominante au moment où ils se produisent. Le concept de protectionnisme sera ainsi jugé restrictif et xénophobe en période d’expansion économique, vertueux en période de récession et d’aggravation de la concurrence. Il en est de même de processus plus politiques. L’élargissement de l’Union européenne était ressentie comme favorable au temps de la croissance, dangereux aujourd’hui. Il ne faut pas oublier cependant que les prévisions faites sur la bases de feelings ou sentiments collectifs ne résultent que d’estimations probabilistes du futur. Elles ne se traduiront pas nécessairement dans les faits et pourront donc se modifier brutalement si certains de ceux-ci les contredisent.

Cependant, si toutes ces prévisions convergent, même sans bases rationnelles, on peut se préparer à un certain nombre de « tsunamis sociaux ». Or c’est bien le cas aujourd’hui. Entre l’effondrement des marchés, la fin du pétrole, les changements climatiques, l’accélération des migrations de travailleurs pauvres, la généralisation du terrorism, sans oublier la hausse des loyers et la baisse des salaires, il n’apparait pas aujourd’hui de perspectives susceptibles de lutter contre le pessimisme général. L’évolution globale du monde et en tous cas celle de nos civilisations européennes, ne pourront que s’en ressentir. Certains pays font encore preuve d’optimisme concernant l’avenir, comme c’est semble-t-il le cas de la Chine, mais ceci ne tient-il pas à l’importance de propagandes officielles qui ne résisteront pas à l’évocation des grands maux supposés menacer le monde.

Approfondir l’analyse
Les observations de John Casti, relatives à la façon dont se forment les croyances des populations lesquelles orientent à terme l’ensemble de leurs comportements, sont intéressantes et ne peuvent pas laisser indifférents les décideurs. Mais il nous semble qu’elles ne vont pas assez au fond des choses. La question de la façon dont chacun d’entre nous est conditionné par des représentations collectives à fort pouvoir structurant mérite des analyses plus approfondies. S’il est vrai que les contenus cognitifs de nos cerveaux, souvent sans que nous en ayons conscience, sont déterminés par les contenus cognitifs des cerveaux des autres membres du ou des groupes auxquels nous appartenons, il serait indispensable d’identifier les agents d’une telle contamination.

S’agit-il des mèmes, ce que le méméticien précurseur Richard Brodie avait nommé des virus de l’esprit, autrement dit des mots, des images, des discours qui circulent d’un individu à l’autre et s’imposent à leurs esprits en se répliquant sur un mode quasi biologique? S’agit-il d’influences suscitées par la présence réelle ou virtuelle, via les réseaux, d’autres humains pouvant induire des sentiments d’appartenance ou de répulsion partagés par tous les membres d’un même groupe.

Concernant l’appartenance, on pourra citer les effets de mode faisant que spontanément chacun adopte les façons de vivre attribuées aux élites ou aux dominants. Concernant la répulsion, il s’agira par exemple du rejet provoqué par l’arrivée sur le territoire dont le groupe s’attribuait la propriété d’un nombre trop grand d’émigrés apportant avec eux des modes de vie différents. Il paraît clair que, chez les humains comme chez les animaux, des réflexes très anciens permettent aux individus de distinguer, sans même en être conscients, ceux qui dans l’ensemble appartiennent à la même « famille » et ceux qui en diffèrent. Les premiers rassurent, les seconds inquiètent. On peut craindre ainsi qu’avec l’aggravation des conditions climatiques, les immigrations de la misère qui en résulteront inévitablement provoquent au sein des populations restées préservées des sentiments d’angoisse ou de rejet aux conséquences incalculables.

Pour notre part, dans la suite de notre essai « Le paradoxe du Sapiens », nous pouvons rappeler l’importance qu’il conviendrait d’attribuer aux comportements induits chez les humains par ce que nous avons nommé le mariage étroit entre l’humain et la technique, c’est-à-dire entre les déterminismes biologiques et anthropologiques toujours actifs dans les sociétés actuelle, et les nouvelles façons de vivre et de penser induites par ces technologies. Nous avons cité l’exemple de la véritable addiction qu’exercent sur leurs possesseurs ou utilisateurs les armes à feux, les automobiles et autres produits manufacturés suscitant un fort sentiment d’identification à l’outil. Nous avions indiqué qu’en ce cas, les neurones dits miroirs observés dans les cortex sensori-moteurs contribuent considérablement à la diffusion par imitation, au sein des populations, de la disponibilité aux outils (affordance). C’est de plus en plus le cas concernant les modèles sociaux répandus en masse par la généralisation des réseaux de télévision, portant dans les villages les plus reculées des visions du monde poussant selon les cas à l’optimisme, au pessimisme voire à la haine de l’autre.

On dénonce de plus en plus une forme d’addiction plus subtile. C’est celle à l’internet interactif. Certains individus ne peuvent plus se passer de recevoir en rafales des messages émis par des correspondants souvent mal identifiés, et d’y répondre. Un article récent du New York Times illustre bien ce phénomène 4). L’auteur de l’article n’hésite pas à évoquer les stimulations endocriniennes que peuvent provoquer les messages en trop grand nombre. Nous citons: « These play to a primitive impulse to respond to immediate opportunities and threats. The stimulation provokes excitement — a dopamine squirt — that researchers say can be addictive. In its absence, people feel bored […] The technology is rewiring our brains,” said Nora Volkow, director of the National Institute of Drug Abuse and one of the world’s leading brain scientists. She and other researchers compare the lure of digital stimulation less to that of drugs and alcohol than to food and sex, which are essential but counterproductive in excess ».

Ces chercheurs montrent que l’abus de l’informatique et de l’internet, loin de rendre les cerveaux plus actifs et inventifs, tend au contraire à les engourdir, à les rendre moins résistants aux intrusions malveillantes. Nous sommes bien là dans le cas d’une interaction entre le support biologique et l’outil technologique, que les neurosciences observationnelles ont déjà commencé à étudier. Mais bien d’autres causes et conséquences du mariage entre l’anthropologique et le technologique nous échappent encore, alors que celui-ci nous façonne tous les jours à notre insu. Ces influences sont en train de construire dans nos cerveaux et nos corps des contenus cognitifs qui conditionneront la façon dont nous envisagerons le monde, non seulement dans les prochaines minutes mais dans les prochaines années. Dans la suite du « Paradoxe du Sapiens », il y aurait place on le voit pour de très nombreuses autres recherches.

Ceci étant et pour en revenir au thème principal de cet article, il apparaît que dans tous ces cas, des phénomènes extérieurs confortant les comportements dominants créeront généralement un sentiment d’optimisme au sein du groupe. Si à l’inverse, ils semblent les contredire voire les menacer, un pessimisme, sinon une angoisse collective se répandront dans le groupe. On peut facilement imaginer le pessimisme grandissant qui se répand dans les pays soumis au « terrorisme » de l’industrie automobile à l’idée que le pétrole et les voitures iront se raréfiant.

On peut aussi imaginer la détresse qui nous atteindrait tous si pour une raison technologique ou à la suite d’une action de guerre, les réseaux de la télévision et de l’internet nous faisaient brutalement défauts. La seule idée que ceci puisse se produire dans les prochaines années suffit à nous assombrir. La crise y est évidemment pour quelque chose. Il y a quelques temps au contraire, nous nous imaginions que le progrès, la marche vers ce que Ray Kurzweil continue à nommer la Singularité, pourrait apporter des réponses à tous nos désirs, y compris les plus fous 5) . Comme quoi, les humeurs, le « mood », changent vite, et radicalement.

Notes
1) Concernant l’intelligence collective des buffles on pourra visionner une vidéo qui a eu un grand succès sur internet http://www.lepost.fr/article/2008/06/23/1212932_la-chasse-aux-lionnes-video-vue-34-millions-de-fois_0_316420.html. Mais en ce cas, comme dans celui du groupe de lions auquel ce troupeau était confronté, il semble que l’on se trouve en présence de formes plus classiques de comportements collectifs, ne faisant pas appel à un mystérieux phénomène de conscience de groupe



2) Baquiast, Le paradoxe du Sapiens, J.P. Bayol 2010
Voir http://www.editions-bayol.com/pages/livres-titres/paradoxe.php
3) Voir http://www.moodmatters.net
4) Voir http://nyti.ms/b0kK8b
5) Voir le film The Singularity is near. A true strory about the future http://www.singularity.com/themovie/index.php

2010-07-22




L'individu moderne s'imagine, à tort, qu'il ne doit rien au passé et tout à lui-même, constate Olivier Rey dans un passionnant périple intellectuel
Ce fut la révolution des poussettes.

Au fil des années 1970, un changement radical s'opère inopinément. L'enfant est désormais placé dans le sens de la marche, et non plus face à l'adulte. Olivier Rey part de cette observation pour conduire le lecteur dans un passionnant voyage intellectuel autour de la question des origines, de l'individu et de la modernité. Le monde est passé du règne de l'hétéronomie - domination de l'individu par les figures de la religion, de l'autorité et de la tradition - à celui de l'autonomie - où il s'imagine libéré du passé et producteur de lui-même.

L'auteur est mathématicien. On ne le devinerait pas à la lecture de sa démonstration, qui se nourrit d'une heureuse variété de références philosophiques, scientifiques ou littéraires. Son propos est non d'instruire le procès de la modernité au nom d'un passéisme artificiel, mais plutôt de la comparer à ses propres prétentions.

Œuvres de science-fiction à l'appui, Olivier Rey montre à quel point le fantasme d'autoengendrement est au cœur des mentalités contemporaines. L'illusion que l'on ne doit rien au passé et tout à soi-même fait, bien sûr, des ravages dans les politiques éducatives. C'est qu'elle est, ici, confortée par le bougisme extrême d'un monde où rien n'est désormais assuré de permanence. L'auteur éclaire encore de ce jour l'engouement pour les différentes formes de procréation artificielle.

Après s'être dégagé de la religion, explique-t-il, l'individu moderne est amené à se libérer de la sexualité, entendue comme appartenant, elle aussi, au mystère des origines.

L'auteur interroge le caractère «faussement rationnel» d'un monde qui croit pouvoir s'orienter grâce à la seule boussole scientifique et technique. Voilà qui «laisse la raison calculante seule avec elle-même - ce qui veut dire: seule avec l'inconscient». L'humanité passe alors dangereusement en pilotage automatique si l'on veut bien se rappeler que l'inconscient n'est autre que «l'infantile en nous».

Or cette alchimie entre modernité des moyens et archaïsme des fins entre en congruence avec la dynamique actuelle du capitalisme. Le dépérissement des codes éducatifs ou éthiques autorise la libre manipulation des individus par un marché qui étend sans cesse son empire.

Le refoulement des origines et la quête d'immortalité participent d'une véritable régression de l'humanité. «La tendance à effacer le parcours, en proclamant l'enfant autonome et en voulant le vieillard toujours jeune, rapproche bizarrement l'humanité de l'animalité», observe Rey, qui appelle à une «refonte de la pensée». L'enjeu est bien d'inventer un autre rapport au passé et à la tradition que celui d'une brutale négation, caractéristique de la modernité.

On ne se libère vraiment de ses origines qu'en les assumant.

texte de :Par Eric Dupin (L'Express), publié le 12/10/2006

Editeur : Seuil
Publication : 3/8/2006
Prix éditeur : 22.5 euros
Nombre de pages : 330 pages ISBN : 2020863804

écoutez
Olivier Rey, l'importance des limites dans la construction psychique d'une société

2010-06-21

BEL AMI de MAUPASSANT




Bel-Ami est un roman réaliste de Guy de Maupassant publié en 1885 sous forme de feuilleton dans Gil Blas et dont l’action se déroule à Paris au xixe siècle.
Ce roman, retrace l’ascension sociale de Georges Du Roy (ou Georges Duroy), homme ambitieux et séducteur (arriviste - opportuniste), employé au bureau des chemins de fer du Nord, parvenu au sommet de la pyramide sociale parisienne grâce à ses maîtresses et à la collusion entre la finance, la presse et la politique.

Sur fond de politique coloniale, Maupassant décrit les liens étroits entre le capitalisme, la politique, la presse mais aussi l’influence des femmes, privées de vie politique depuis le code Napoléon et qui œuvrent dans l’ombre pour éduquer et conseiller.

L’œuvre se présente comme une petite monographie de la presse parisienne dans la mesure où Maupassant fait implicitement part de son expérience de reporter. Ainsi l’ascension de Georges Duroy peut être une allégorie de la propre ascension de Maupassant.

2010-04-14

L'ECOLE DE CHICAGO Naissance de l'écologie urbaine



Le Chicago des années 1920 constitue un gigantesque " laboratoire social ".
Fascinés par le comportement de l'homme dans son nouveau milieu urbain, des sociologues, dont Robert Park, Ernest Burgess, Roderick Mackenzie, William Thomas et Louis Wirth, jettent les bases d'une " approche écologique de la ville ".
Groupes sociaux, territoires, ségrégation ; mobilité ; réseaux de relations, mentalités, sociabilité : pour la première fois, la ville est pensée comme société, comme culture et, finalement, comme état d'esprit.

Grâce à ces nouveaux concepts, les sociologues de Chicago se donnent pour objectif de produire des connaissances utiles au règlement des problèmes sociaux concrets, particulièrement ceux de l'assimilation de millions d'immigrants à la société américaine. Leurs méthodes de travail, annonçant la sociologie qualitative, vont profondément marquer la recherche sociologique.

Cet ouvrage rassemble les textes fondateurs de ce courant, ainsi qu'un article de Maurice Halbwachs sur la croissance de Chicago et son caractère exemplaire de creuset ethnique et culturel, et des textes de Georg Simmel, qui esquissait, dès 1903, la spécificité d'une personnalité urbaine.

AUTEURS

Yves Grafmeyer, professeur de sociologie à l'université Lyon-II, a publié notamment Habiter Lyon (CNRS / PUL, 1991), Les Gens de la banque (PUF, 1992), Sociologie urbaine (Armand Colin, 2008).

Isaac Joseph (1943-2004) était professeur de sociologie à l'université Paris-X et a publié notamment Erving Goffman et la microsociologie (PUF, 1998) et la Ville sans qualités (Editions de l'Aube, 1998).


SOMMAIRE
LA VILLE-LABORATOIRE ET LE MILIEU URBAIN
DISGRESSIONS SUR L'ETRANGER
METROPOLES ET MENTALITE
DEFINIR LA SITUATION
LA VILLE, PROPOSITIONS DE RECHERCHE SUR LE COMPORTEMENT HUMAIN EN MILIEU URBAIN
LA CROISSANCE DE LA VILLE, INTRODUCTION A UN PROJET DE RECHERCHE
L'APPROCHE ECOLOGIQUE DANS L'ETUDE DE LA COMMUNAUTE HUMAINE
LA VILLE COMME LABORATOIRE SOCIAL
LA VILLE, PHENOMENE NATUREL
LA COMMUNAUTE URBAINE : UN MODELE SPATIAL ET UN ORDRE MORAL

(re)Paru le : 03/06/2009 Editeur : Flammarion
Collection : Champs Essais ISBN : 978-2-08-122663-0

Nb. de pages : 377 pages

2010-02-04

L' Esprit de Philadelphie Alain Supiot





L' Esprit de Philadelphie
Alain Supiot

Actualités/Essais/Documents / Essais
Date de publication : 07/01/2010
EAN13 : 9782020991032

Les propagandes visant à faire passer le cours pris par la globalisation économique pour un fait de nature, s’imposant sans discussion possible à l’humanité entière, semblent avoir recouvert jusqu’au souvenir des leçons sociales qui avaient été tirées de l’expérience des deux guerres mondiales. La foi dans l’infaillibilité des marchés a remplacé la volonté de faire régner un peu de justice dans la production et la répartition des richesses à l’échelle du monde, condamnant à la paupérisation, la migration, l’exclusion ou la violence la foule immense des perdants du nouvel ordre économique mondial. La faillite actuelle de ce système incite à remettre à jour l’œuvre normative de la fin de la guerre, que la dogmatique ultralibérale s’est employée à faire disparaître. Ce livre invite à renouer avec l’esprit de la Déclaration de Philadelphie de 1944, pour dissiper le mirage du Marché total et tracer les voies nouvelles de la Justice sociale.

Alain Supiot est actuellement directeur de l’Institut d’Études Avancées de Nantes. Professeur de droit, il est membre de l’Institut Universitaire de France.


2010-01-27

LE TEMPS DES CRISES MICHEL SERRES



Auteur : Michel Serres
Collection : Manifestes
broché, 84 pages (135 x 200) Prix : 10 €
ISBN/EAN : 978-2-7465-0453-0 / 9782746504530

« Il arrive qu’un séisme ne dessine qu’une ride sur le sol ; ou quelques fêlures et fentes sur les ouvrages d’art, ponts et bâtiments. À force millénaire de tremblements de terre apparaît une crevasse large dans le paysage, comme on en voit en Islande ou en Californie, celle de San Andreas. Visibles puis imprimées sur la carte, ces traces et marques révèlent et cachent une faille géante au niveau des plaques basses, qui se meuvent lentement et cassent tout à coup dans les abysses tectoniques, invisibles. Et la cause profonde de tous ces mouvements gît là.
Financière et boursière, la crise qui nous secoue aujourd’hui, sans doute superficielle, cache et révèle des ruptures qui dépassent, dans le temps, la durée même de l’histoire, comme les failles de ces plaques basses dépassent, dans l’espace, notre perception. »

Si nous vivons une crise, au sens plein du terme, aucun retour en arrière n’est possible. Il faut donc inventer du nouveau. Or, le nouveau nous submerge ! En agriculture, transports, santé, démographie, informatique, conflits, des bouleversements gigantesques ont transformé notre condition comme jamais cela n’était arrivé dans l’histoire. Seules nos institutions n'ont pas changé.

Et voici l’une de ces ruptures profondes : notre planète devient un acteur essentiel de la scène politique. Qui, désormais, représentera le Monde, ce muet ? Et comment ?

Michel Serres montre que nous sommes encore les acteurs de notre avenir.

Michel Serres, de l’Académie française, est l’auteur d’essais, dont Le Contrat naturel et Le Tiers-Instruit (François Bourin), « Le Grand Récit » (Hominescence, L’Incandescent, Rameaux et Récits d’humanisme), Le Mal propre et La Guerre mondiale (Le Pommier). Il propose une vision du monde qui associe les sciences aux humanités.